Molière
et Pézenas
Entre Pézenas et Molière, c’est un lien profond, empreint d’histoire et de mystères, qui démarre en octobre 1650*. Agé de 28 ans, Molière se remet tout juste du naufrage de l’Illustre théâtre (sa première troupe fondée en 1643) – qui lui valut d’être emprisonné au Châtelet. Fraîchement saisi de la direction de la troupe de Charles Dufresne, accompagné par Armande Béjart, et après avoir vécu un temps en Guyenne où il reçut le soutien du Duc d’Epernon, Molière attire l’attention du pouvoir languedocien : les Etats Géréraux.
Ce texte est issu de « Sur les pas de Molière » des Amis de Pézenas, et de textes issus du travail de Claude Alranq.
Ce puissant gouvernement votant l’impôt royal est composé de députés de Toulouse, du Sud de l’Auvergne, du Gévaudan et du Vivarais, et il tient, cette année de 1650, sa session à Pézenas. Pendant trois mois et pour la somme de 4 000 livres, Molière reçoit donc la charge de divertir ces « Messieurs des Estats ».
C’est, pour la troupe, une collaboration fructueuse qui se rejoue plusieurs mois par an jusqu’en 1656, aux côtés d’autres comédiens ambulants et baladins, dans cette ville animée qu’il faut distraire et où toute l’aristocratie foncière à sa résidence citadine et construit les plus beaux hôtels (Lacoste, Flottes de Sébasan, Latude, Landes de Saint-Palais, Grasset,
Alfonce…).
Rencontre avec le Prince de Conti Durant l’été 1653, Pézenas s’anime :
Armand de Bourbon, Prince de Conti, que les piscénois avaient connu enfant, vient s’installer, lui et sa suite composée de 200 personnes, dans le château de la Grange-des-Prés. La Fronde venait de s’éteindre et le Prince, grand comploteur, obtint un exil forcé en ce lieu où il s’entoure du Marquis de Cosnac, du poète Sarasin et de sa maîtresse, Madame de Calvimont, dérobée à un membre du Parlement de Bordeaux. Cette dernière s’entiche de la troupe de Cormier, une concurrence pour Molière en lice pour le titre de Comédiens de Monseigneur S.A.R. le Prince de Conty ». Mais l’amour que Sarasin porte à Mademoiselle Du Parc, comédienne de la troupe, emporte la confiance de Conti pour Molière qui joue la tragédie en première partie et développe tout son art dans la comédie, souvent en un acte, et dans la farce** !
« Si Sarasin, au lieu d’être amoureux de la Du Parc, l’était aussi bien devenu de la troupe de Cormier, tout était manqué… » Sainte-Beuve
Entre deux représentations à la Grange-des-Prés et pour les Etats Généraux, Molière joue dans les palais de la ville. Ses pièces se nourrissent des scènes qu’il observe dans la cour du Prince aussi bien que sur les places de foire…
Ou encore dans la boutique de son ami, le barbier Gély***, qui occupe une place centrale devant laquelle la foule se presse et joue toutes les meilleures scènes de la vie dont Molière se délecte. Gély, qui aurait
inspiré le personnage de Sganarelle, attire des « agréables » qui viennent se faire « calamistrer » et offre à l’auteur un fauteuil : le fauteuil de Molière, trésor aujourd’hui conservé au musée Vulliod-Saint-Germain.
*sans compter un bref passage à 20 ans en 1642 pour remplacer son père, tapissier du roi.
**Molière s’inspire fortement de la commedia dell’arte dont Scaramouche, qu’il rencontra en 1651, était le grand représentant. Quelques titres des farces jouées : « Le docteur amoureux », « Le Fagoteux », « Gorgibus dans le sac », « La jalousie du Barbouillé » et… « Le médecin volant », vieux canevas évoquant les querelles de praticiens entre les Facultés de Montpellier et de Paris.
***aujourd’hui le lieu du musée Boby Lapointe : l’A-Musée Boby Lapointe
Départ de Pézenas
Le 8 décembre 1656, l’Evêque d’Alet prêche sur le thème de la confession. Celui-ci, qui exerce une immense fascination sur son public, convertit le Prince de Conti qui se voit inviter à prendre soin du salut de son âme. Il n’assiste plus aux manifestations théâtrales et la Grange-des-Prés devient un lieu austère. Il répudie Molière au titre de ses anciennes passions.
« Il y a des comédiens ici qui portaient mon nom autrefois ; je leur ai fait savoir de le quitter et vous pensez bien que je n’ai eu garde d’aller les voir… » Conti
Molière quitte définitivement Pézenas et regagne Paris quelques mois plus tard. En 1658, lui et sa troupe deviennent « Comédiens de Monsieur frère du Roi » et jouent, devant leurs Majestés, « Nicomède » puis… « Le docteur amoureux », qui charme la cour et marque le premier succès de Molière qui jouera désormais à Versailles.
Anecdotes
Molière a deux fauteuils. L’un, conservé à la Comédie-Française,
est celui sur lequel le dramaturge a joué Argon avant de s’éteindre. Le second est celui de la boutique de son ami le barbier Gély,
depuis lequel il observait la scène piscénoise. Disparu en 1922,
il a été retrouvé en 2003 par les Amis de Pézenas qui ont pu en faire l’acquisition grâce à une souscription publique historique (cf. annexes) !
Témoins de ce passage, deux quittances de 4 000 et 6 000 livres adressées au Trésorier de la Bourse des Etats sont signées
de la main de Molière. Conservées aux Archives départementales de l’Hérault, elles offrent aujourd’hui l’une des rares pièces manuscrites existantes, de même que la seconde présente le plus long texte écrit de la main de Molière retrouvé à ce jour.
Le mot du parrain
« Si Jean-Baptiste Poquelin est né à Paris,
Molière est né à Pézenas ».
Cette citation si juste de Marcel Pagnol prononcée en 1947 ne pouvait être que la meilleure introduction pour mon spectacle, Molière à Pézenas, que je vais représenter dans votre mythique théâtre le samedi 15 janvier prochain.
Nous n’allons pas nous téléporter, mais plutôt nous théâtreporter quatre siècles en arrière, depuis la naissance de Jean-Baptiste Poquelin jusqu’à l’arrivée de Molière avec la troupe de l’Illustre théâtre dans votre belle ville.
On y retrouvera le Prince de Conti à la Grange-des-Prés, le barbier Gély dans sa boutique, et les premières représentations du Médecin Volant à l’Hôtel d’Alfonce.
Un spectacle hommage pour le quatre-centième anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, mais surtout, un hommage à la Ville de Pézenas qui a fortement contribué à l’élaboration du génie de Molière !